For all the English readers out there, I’m sorry, but this one’s going to be en français: the land of « Liberté Égalité Fraternité » is yet again dangerously close to passing what many have been calling a « liberticidal » law, but that might more aptly called a « future-art-killer ». Two days ago, a film opened in New York entitled RiP: A Remix Manifesto; the film has also been distributed under a CC-BY-NC licence and therefore can easily (and legally) be downloaded off of Pirate Bay and other sources; I suggest you see it, and donate to the cause. In it, the filmmakers describe the current cultural battle as a war, and I couldn’t agree more.
With that in mind, here then is my open letter to Christine Albanel, the Minister of Culture, in which I ask her to rethink her position on this current cultural war:
Madame la ministre, demain vous reprenez les débats concernant votre proposition de loi « HADOPI ». Vous nous dites que cette loi est là pour nous protéger, nous les artistes, via une réponse « graduée » et « pédagogique » qui viserait le rétablissement d’un rapport plus équitable entre le public et les créateurs. Il y a eu beaucoup de débats sur cette loi, concernant principalement la question des libertés fondamentales des citoyens et de leur droit d’accès à l’information — autrement dit les conséquences de cette loi en partant du point de vue du consommateur (de la culture). Mais j’aimerais apporter un autre point de vue, partant cette fois-ci du point de vue de l’artiste.
Pour les artistes, cette loi ne répond pas à nos véritables problèmes. Elle en crée même des nouveaux. Ce n’est pas le public en tout cas qui doit nous faire peur, et ce n’est surtout pas le public qui nous empêcherait de créer. Il y a un déséquilibre, peut-être — mais tôt ou tard, nous finirons par nous retrouver. Il serait absurde dans tous les cas d’imaginer un quelconque antagonisme entre les artistes et leur public, encore moins un public de plus en plus demandeur de créations artistiques. Non, la véritable tension se trouverait plutôt entre les artistes et les acteurs qui en vivent — l’industrie culturelle. Il s’agit d’un problème parfaitement classique mais qui nécessiteraient aujourd’hui des renégociations autant sur les nouveaux moyens de diffusion que sur les nouveaux moyens de création. Je dirai même qu’il faut d’abord régler les problèmes du droit de la création, avant de se poser la question de la diffusion. Nous avons besoin de votre aide dans cette rééquilibrage, qui commence par l’arrêt des abus des mêmes systèmes de protection qui étaient sensés nous protéger et que vous déclarez défendre.
L’artiste d’hier n’est pas celui d’aujourd’hui et encore moins celui de demain dont nous ne devinons même pas les contours. Votre loi ne prend pas en compte ces changements; pire, elle fait perdurer un régime d’oppression artistique qui depuis longtemps empêche l’émergence de nouvelles formes qui ne rentreraient pas dans ses modèles de propriété intellectuelle. Où est-il marqué dans votre loi que les artistes du remix, de la détournement des média anciens, seront protégés contre les pratiques draconiennes des industries culturelles qui gardent ces « propriété » tel un cerbère contre toute réappropriation, notamment celle qui leur insufflerait une nouvelle inspiration ? Car c’est ici que les lois supposées nous protéger sont devenues des lois servant à étouffer nos créations. Combien d’artistes doivent être attaqués par les avocats des « majors » avant de réagir en notre défense, en nous proposons des actions (peu importe la forme) qui encouragerait les créations de demain, tout en respectant celles d’hier ? Les formes de censure dont nous souffrons sont avant tout économiques, mais finissent par devenir des formes de censure esthétiques, et qui se transforment même dans certains cas (que je connais malheureusement trop bien) en de la censure politique. L’économie ancienne de la culture nous étouffait, et c’est aujourd’hui qu’enfin nous nous débarrassons de ces lobbies qui ne sont rien d’autre que des défenseurs de la monoculture. Ce sont alors les lois elles-mêmes du droit d’auteur qui doivent être changées, celles créées pour une ancienne forme de création (et de sa diffusion). Et c’est aux anciens gardiens de la citadelle de la culture de s’adapter à la nouvelle donne, et surtout pas l’inverse.
Enfin, ce n’est pas en avançant les dates de sortie des DVD que vous aller inscrire les français dans les enjeux du XXIème siècle. Oubliez la vidéo à la demande, car le public lui-même s’est transformé. La notion de consommation culturelle a muté : ouvrez votre navigateur et vous verrez que l’internaute ne se contente plus de consommer les films, désormais il cherche à en être acteur, se situant quelque part entre curateur, commentateur, et créateur avec une part de moins en moins important de consommation. N’importe quelle loi proposant une harmonisation d’un monde technique et culturel ancien avec le monde nouveau doit commencer par assumer cette nouvelle donne d’une production culturelle en éternelle mutation et bidirectionnelle. Il faut protéger cette nouvelle forme de consommation, cette nouvelle forme de jouissance culturelle, contre les anciens modèles économiques qui sont, malheureusement, incompatibles avec elle. Le public est dans la même posture que nous les artistes, il cherche à créer.
C’est ici d’ailleurs sur ce dernier point que je diverge avec ceux qui prônent la création d’une licence globale : celle-ci est peut-être une solution, mais une solution uniquement temporaire. La licence globale prolonge elle aussi un modèle désuet, basé sur l’idée d’une consommation (passive) des contenus, comme s’il s’agissait de petits paquets de CD ou de DVD, mais distribués sans le support. Alors que l’avenir se trouve plutôt dans des formes audiovisuelles mutantes et algorithmiques qui ne peuvent même pas s’identifier dans telle ou telle copie puisque son raison d’être c’est justement de perdurer dans une adaptabilité permanente. Comment rémunérer correctement ces nouvelles formes tout en encourageant leur distribution ? Nous ne savons pas encore et c’est encore moins votre loi qui nous aidera puisqu’elle est ouvertement hostile aux algorithmes, qui sont suspectés de vouloir détourner ce DRM que même l’industrie culturelle a fini par abandonner. Nous les artistes ont bien moins peur des algorithmes, car nous comprenons que c’est grace à eux que nous oeuvres de demain fonctionneront.
Permettez-moi madame de vous faire une suggestion. Actuellement, vous pouvez téléchargez gratuitement et en toute légalité le film « RiP: A Remix Manifesto », distribué sur Pirate Bay sous la licence Créative Commons CC-BY-SA ou que vous pouvez visionner directement sur le site du National Film Board of Canada. Je vous le recommande très fortement, notamment pour ces valeurs pédagogiques concernant le rôle de la réappropriation dans l’histoire des expressions culturelles. Vous verrez, par exemple, que les droits que vous défendez ne sont peut-être pas aussi propres que vous ne le pensiez. Mais dans ce film, vous trouverez surtout un modèle d’action à la fois politique et artistique, via Gilberto Gil le célèbre musicien et ancien ministre de la culture brésilien : « Nous cherchons toujours à donner aux gens, aux enfants, accès. La nature même de la création, c’est le partage. Tout vient de quelque chose d’autre, c’est comme une réaction en chaîne » (01:12:58). Le rôle d’un ministre de la culture c’est la défense de la culture, de sa création et de son partage. Regardez la magnifique bibliothèque, encore plus grande que celle d’Alexandrie, que les amateurs d’art ont créé grâce au réseau de partage peer-to-peer. Est-ce que les grands industriels de la culture, que vous protégerez que vous le voulez ou non en passant cette loi, peuvent en dire autant ?
// Douglas Edric Stanley, http://www.abstractmachine.net